LA PAROLE BULGARE, 21.1.1940. ......................LES LIVRES

TERRE DE SOLEIL,
POESIES par LATCHEZAR STANTCHEV
(Editions Ivan Koioumdjiev, 1939, Sofia)

Avec „Terre de soleil’’, le jeune poète Latchézar Stantchev est à son quatrième recueil de vers. Celui-ci est peut-être le plus Emportant, à en juger par la quantité des poèmes qu'il renferme.

Par ces temps d'indifférence générale où nous voyons tomber la Muse de la Poésie, l'effort de certains auteurs pour nous rendre sensible le charme de Polymnie, ne saurait ne pas nous être sympathique et digne d'encouragement.

A lire les poésies de Latchézar Stantchev, on éprouve un certain sentiment de soulagement. Le lecteur ne s'ennuie pas, il se laisse entraîner par le flot lyrique, et les images qu'il découvre de page en page, le font quelquefois rêver longtemps; bref, on y sent la présence d un poète.

Il existe une certaine cohérence dans les thèmes et dans la composition de ce livre. Le poète a quitté son pays natal pour aller en France. Les sentiments qui le soulèvent au moment du départ, puis, les impressions qu'il a rec ueillies en cours de route, le poète les a traduits dans les deux premiers cy cles du livre: „Séparation" et „Voyage". Il nous fait part de ses émotions lors qu’il entend siffler la locomotive, son cœur bat, et le poète avoue sincèrement:

Et aujourd'hui, o ma Patrie,
C'estta voix chère gué j'entends seulement

II ne dissimule point l'inquiétude qui s'empare de lui, à tel point que le poète confesse:

Je veux que tu sois partout avec moi,
Que je me sente toujours près de ton
sein chaud

Une certaine monotonie na manque pas dans ces pièces où le poète, tout en s'adonnant à ses épanchements lyriques, cherche à nous communiquer, à travers les images qu'il enfile avec un art habile, ses plus intimes sentiments. Mais la poésie de Latchézar Stantchev garde malgré tout un aspect de sobriété int ellectuelle, et son style ne va pas sans lourdeur par endroits. On écrit en effet aujourd'hui des poèmes excessivement Intellectuels et de la forme la plus libre. Je n'aime pas trop pour ma part ces procédés nouveaux en poésie qui participent souvent de la redondance et d'un prosaïsme à outrance. M. André Thérive a peut-être raison lorsqu'il dit que „le classicisme permet moins de faux-semblants et de tricherie". La forme trop libre des poètes modernes modernistes dissimule parfois chez certains écrivains en vers une médiocrité indubitable.

En poésie, forme e sens vont de pair. N'est pas poète cel ui chez qui manque l'une ou l'autre.
Le cycle „Paris au soleil", dédié au professeur Léon Beaulieux, forme la partie essentielle du recueil. Il renferme vingt-trois morceaux dans lesquels notre poète dit tout son émerveillement pour les beautés que Paris, ce „cœur du monde", selon une expression de Biaise Cendrars, a offertes à son regard avide et ravi.

Mes joues brûlent d'une flamme ardente,
Mais je sens le froid sur les mains,

Une seule pensée m'occupe en ce moment:
Paris est là, Paris se dresse devant mot.

Cette émotion du poète bulgare qui a peut-être rêvé longtemps de venir un jour dans la capitale de France, est toute naturelle. Nous la trouvons pass ionnément et fortement exprimée dans de nombreux poèmes dont la limpidité, la saveur et la simplicité exquise les rend agréables aux amis du lyrisme serein et frais. Dans le court poème intitulé „Le Soir", le poète, curieux de tout, s'adresse à la Ville-Lumière:

Paris ! Fais-moi connaître tes mystères...
.....................................................
Tu étais longtemps un rêve pour moi.
C'est depuis longtemps que j'attendais
tes beautés ...

La place de l'Etoile, Cluny, Luxembourg, Notre-Dame, Saint-Michel, l'Arc-de-Triomphe, Le pont de Sèvres, le square Monge avec la statue de Volt aire, Tuileries, la place de la Concorde, la Tour Eiffel, la Seine, tout cela se retrouve dans le cycle „Paris au soleil" de notre poète. A ces impressions s'en ajoutent d'autres: Rambouillet, Reims, la cathédrale de Mantes, Versailles, l'Ile de France, Chartres... Cette „géographie" prend, grâce aux rémin iscences et à certaines confidences sentimentales du poète — dans „Rambouillet" par exemple, il prie „la jeune blonde de Norvège, de rester auprès de lui" — un accent de familiarité et de douceur lyrique, et c'est cet accent là qui dénote le vrai poète.

Les trois autres sections du recueil qui s'appellent respectivement: „Reflets", „Retour" et „Guerre" complètent heureusement le livre qui’ se présente, comme nous l'avons déjà dit, sous un aspect cohérent et qui nous rend plus net et déjà beaucoup plus exact le port rait de ce poète qui vient d'obtenir, disons-le, justement pour „Terre de soleil", le prix de poésie 1939, du Ministère de l’Instruction Publique.

Nicolai DONTCHEV.